Autrefois, bon nombre d’évènements restaient incompréhensibles aux yeux de nos ancêtres. Le surnaturel effrayait les gens. Les gestes, les paroles et les objets étaient alors interprétés comme des signes. Chaque fête du calendrier avait autrefois ses rites, accompagnés de pratiques plus ou moins magiques, de superstitions. Les superstitions et légendes qui ont traversé les siècles furent transmises oralement. Les veillées près du feu, seule source de chaleur et de lumière pour les familles paysannes, étaient un moment de prédilection pour cela. Notre bocage regorge de légendes plus ou moins anciennes. Il a également connu des phénomènes inexpliqués, paranormaux, qui firent trembler les villageois. Nous en avons sélectionné quelques-uns pour vous.

La Pierre Dialan à Jurques

À l’âge du Bronze et à l’âge du Fer, avant la colonisation romaine, vivaient des populations dont on connaît peu les modes de vie. Les hommes se réunissaient près des pierres levées. En Normandie, il existe de nombreuses pierres que la tradition populaire nomme « pierres druidiques ». Les druides utilisaient les monolithes pour les cérémonies. La présence inexpliquée de ces pierres géantes donna lieu à de nombreuses légendes sur leur édification et leur puissance surnaturelle.

Au milieu du XIXe siècle, le célèbre historien Arcisse de Caumont parle déjà de la pierre Dialan ou Dyalan dans son ouvrage Statistique Monumentale du Calvados. Celle-ci est classée au titre des Monuments Historiques en 1889 comme dolmen. Il s’agit peut-être d’une erreur car nous ne savons pas si cette roche fut un monument druidique. Il s’agit d’un morceau de quartz détaché d’une roche autrement appelé bloc erratique.

Situé à quelques pas du Zoo de Jurques, dans le Bois du Nid du Chien, ce lieu est tout simplement magique et mystérieux. Ce monolithe de plusieurs tonnes repose sur quatre supports en pierre. Selon Jules Lecoeur, auteur du XIXe siècle, les grands-mères se rendaient à la pierre Dialan pour que leurs petits-fils soient favorisés d’un bon numéro lors du tirage au sort de la conscription. Des fouilles ont été effectuées sous cette pierre dans le but de découvrir des secrets et des trésors. Seuls de nombreux ossements, des vestiges humains et animaux y ont été découverts. Le monolithe est également appelé « la Pierre de Gargantua ». Gargantua était très populaire en Normandie. Ce géant popularisé par Rabelais a donné son nom à de nombreuses pierres de la région. La légende raconte qu’à la fin de sa journée de fauchage, le géant jeta sa pierre à faux du haut de la côte. Celle-ci se retrouva plantée comme nous la voyons aujourd’hui.

La Fontaine Saint-Célerin à Roucamps

À présent, rendons-nous à Roucamps, près du Mont-Pinçon. Selon la croyance locale, Guillaume le Conquérant, alors Duc de Normandie, y aurait écorché le Baron Grimoult qui se serait rebellé contre lui. Lavant ses mains ensanglantées dans la Fontaine de Saint-Célerin, il y fit tomber son couteau, laissant dans l’eau la couleur rouge du sang de son ennemi.

L’eau de la fontaine est en réalité colorée par la grande quantité de fer présente dans le sol de la région. C’est d’ailleurs de là que vient le nom du village Roucamps, qui provient de « champ rouge ». Cette source est vénérée par la population locale depuis l’Antiquité.

L’eau de la fontaine aurait des vertus curatives pour la peau et les yeux. Elle aiderait aussi les enfants à marcher rapidement. Plus forts que tous les remèdes, les saints étaient alors considérés comme les meilleurs des guérisseurs. De son vivant, Saint-Célerin aurait soigné de nombreux nourrissons d’une forme particulière d’impétigo* du cuir chevelu appelé « mal Saint-Célerin » (*une infection bactérienne de la peau due à un staphylocoque ou un streptocoque). Dédiée à ce saint depuis le Moyen-Âge, sa chapelle éponyme fut implantée lors de sa fondation au pied de la source pour christianiser les lieux.

Les légendes de la forêt de Saint-Sever

Dans la forêt, au bord de l’étang du « Vieux Château », se trouve une motte castrale du XIe siècle. Richard Goz, le petit-fils du viking Anfroi le Danois, y fit construire une tour en bois entourée de fortifications. La légende raconte que des animaux mystiques protégeaient une fontaine miraculeuse, visible dans un pré à quelques mètres de la motte. L’eau guérissait les maladies des yeux. Les femmes y emmenaient leurs enfants qui avaient des difficultés à marcher.

Plusieurs siècles avant la construction de ce château, c’est dans cette même forêt que vécut Sever. Ses parents le confièrent à un seigneur païen nommé Corbec ou Corbécénus. Il était berger et gardait des juments et des moutons. Très pieux, il parvint à convertir son maître. Une fois affranchi, il se fit ermite dans la forêt. Très rapidement rejoint par de nombreux disciples, il devint évêque à la demande des habitants d’Avranches. Comme la solitude lui manquait, il retourna en ermite dans la forêt où il érigea une chapelle dédiée à la Vierge Marie. Il serait mort vers 570 et fut inhumé dans la chapelle. L’église abbatiale de Saint Sever se trouve précisément à l’emplacement de sa chapelle. La forêt était plus étendue autrefois, le village n’existait pas.

Le tombeau de St Sever n’est plus visible car ses reliques furent volées au Xe siècle. Au temps du Duc Richard Ier, deux clercs de Rouen, en route pour le Mont Saint-Michel, s’arrêtèrent au tombeau de St Sever. Ils furent surpris du succès de ce lieu de pèlerinage. De nombreux fidèles venaient effectivement prier devant le tombeau. Ils regagnèrent Rouen et firent part de leur étonnement devant l’archevêque. Ce dernier confia au duc l’opportunité d’avoir des reliques du saint dans la ville. Le duc envoya quelques hommes pour récupérer le corps du saint homme, elles furent ensuite placées dans une église rive gauche de Rouen, cette translation donna le nom de St Sever à ce quartier. 

Un poltergeist au Château des Noyers (propriété privée)

Ce terme allemand datant du XVIe siècle désigne un phénomène paranormal : bruits, déplacements d’objets et apparitions répétées. L’Église considérait ces phénomènes comme des apparitions démoniaques et avait recours à l’exorcisme. Depuis le XIXe siècle, nombreux sont les scientifiques qui s’intéressent à ces phénomènes inexpliqués. La littérature et le cinéma se sont également emparés de ce sujet.

Situé à environ 500 mètres au nord du bourg de Le Tourneur, ce château a tout pour effrayer. Placé au bout d’un chemin étroit et entouré d’arbres, il ne reste plus que le squelette de cette grande bâtisse construite en 1835. La végétation a repris ses droits, la toiture n’existe plus et les volets sont cassés, voire inexistants. Quand on s’approche de cette façade, notre cerveau se met à cogiter, des questions trottent dans nos têtes et nos mains sont moites.

Mais que s’est-il passé ici ? La famille De Baudre, qui a fait bâtir le château, s’éteint en 1867. Ce sont des parents proches, la famille Lescaudey De Manneville qui héritent du bien. Le couple Ferdinand Lescaudey de Manneville et Pauline De Cussy s’y installent avec leur fils Maurice. Une série de phénomènes paranormaux commence. Les portes claquent, des bruits de pas se font entendre, des objets se déplacent, des livrent tombent et des apparitions ont lieu. Cela dure plusieurs années. Ferdinand, le propriétaire, et Célina Desbissons, la cuisinière et arrière-arrière-grand-mère du maire actuel de la commune, tiennent chacun un journal relatant les faits. En janvier 1876, un prêtre est envoyé par le diocèse pour pratiquer un exorcisme mais le calme est de courte durée. Très vite, les étranges phénomènes reprennent. Effrayé et lassé, le couple vend le château la même année à Monsieur Decaen, un franc-maçon que les domestiques soupçonnaient de pratiquer des rituels occultes. En 1984, un incendie ravage le château, heureusement inoccupé. Il appartenait alors à une société immobilière parisienne. En 2015, le GREPP (Groupement de Recherches et d’Etude des Phénomènes Paranormaux) est venu mener une enquête. Trois experts consultèrent les journaux intimes du XIXe siècle. Ils réalisèrent des vidéos et des prises de son. L’équipe a réussi à démontrer que certains phénomènes étaient explicables notamment l’apparition d’une silhouette de femme. Il s’agit en réalité d’un effet d’optique. En revanche, certaines voix furent enregistrées sans explications, le château demeure toujours un mystère.

Article publié le mercredi 23 novembre 2022