Jusqu’au milieu du 20e siècle, quand la nuit tombait sur le village et que l’air se faisait plus frais, les habitants se retrouvaient dans une des maisons du hameau. À la mi-automne, juste après la Toussaint ou la Saint-Martin, démarraient les veillées : les travaux d’automne, entre récoltes et semailles, venaient de se terminer. Les veillées se poursuivaient jusqu’au début du printemps, quand la terre appelait à nouveau.
Autour de la grande table, ou blottis près de la cheminée qui crépitait, chacun s’activait. On cousait. On réparait les outils. Et bientôt, une voix s’élevait. On racontait des histoires, des légendes, des potins du village.
La légende de la dame blanche 👩
Parmi les nombreuses légendes qui peuplent la Normandie, celle de la Dame Blanche occupe une place toute particulière. À Saint-Germain-du-Crioult, son histoire se distingue par son intensité et ce mélange fascinant de vérité historique et de mythe. Le récit nous ramène au 17e siècle. C’est surtout l’hiver que la Dame Blanche aimait se montrer. On raconte qu’elle apparaissait, silencieuse, près d’un mur, juste à côté de la porte du manoir de Gouvy, à environ deux kilomètres du bourg. À cette époque, la paroisse de Saint-Germain-du-Crioult était partagée entre deux fiefs : celui de Saint-Germain et celui de Gouvy, appartenant à la famille de la Rivière depuis le 12e siècle.
La Dame Blanche restait là, debout, immobile. Personne n’aurait osé lui adresser la parole. Les habitants du manoir, terrifiés, préféraient se barricader, redoutant le malheur que semblait annoncer son apparition. Et en effet, à chaque fois qu’elle se montrait, un drame frappait la famille.
- En 1605, sur la route de Pontécoulant, le jeune Jean-Jacques de la Rivière fut assassiné.
- En 1619, Marguerite, la fille du seigneur, mourut subitement à seulement dix-huit jours.
- Et en 1620, un violent incendie ravagea le manoir, mais épargna miraculeusement une statue de la Vierge placée dans l’embrasure d’une fenêtre.
Les habitants en étaient convaincus : la Dame Blanche apparaissait toujours peu avant ces tragédies. Accablé de chagrin, le seigneur Charles de la Rivière fit venir un certain Gilles Béhier, un fermier connu dans la région pour ses dons de guérisseur et de désenvoûteur. Une nuit, alors qu’ils guettaient ensemble la mystérieuse apparition, le chien du manoir se mit à hurler. La Dame Blanche était là, debout, près du mur de la porte d’entrée, comme à son habitude. Gilles fit un signe de croix. Le regard du spectre se posa alors sur Charles de la Rivière. Il ne l’avait jamais vue, et pourtant les traits de cette femme lui étaient familiers. C’était Jeanne, son arrière-grand-mère, qu’il n’avait jamais connue.
Alors, elle parla : « De mon vivant, en un jour de péril, j’avais promis de faire dresser une chapelle en l’honneur de la Vierge. Malheureusement, je ne fis sculpter qu’une statue de la Vierge, celle qui fut épargnée dans l’incendie du manoir ! Pour réparer mon mensonge, il faut qu’un de mes héritiers tienne ma promesse. Sinon, à mon grand regret, je continuerais à apparaître pour annoncer de nouveau revers à ta famille… Quand la cloche de la chapelle de Gouvy sonnera, conclut-elle, mon âme sera libérée et ma famille redeviendra prospère !«
Quelques mois plus tard, en décembre, le seigneur tint parole : il fit bâtir une chapelle consacrée à la Sainte Vierge. Dès lors, la Dame Blanche ne reparut plus jamais. La paix revint sur le domaine.
Cette chapelle a bel et bien existé. Charles de la Rivière la fit édifier à côté de son manoir en décembre 1650, et elle fut bénie le 9 février 1651. Elle a aujourd’hui disparu, mais son souvenir demeure, gravé dans la légende de Saint-Germain-du-Crioult.

Gabriel von Max (1840–1915), « Die weiße Frau »,
1900 Huile sur la toile 100 × 72 cm Collection privée
La Mesnie Hellequin : l’armée des morts 💀
Cette légende hante la mémoire des normands depuis des siècles. Le premier à en parler est un moine normand ayant vécu au début 12e siècle : Orderic Vital, un témoin des croyances de son temps. Le mot « mesnie » désigne un groupe de personnes vivant ensemble, sans forcément avoir de lien de parenté.
La Mesnie Hellequin serait ainsi une troupe de spectres et d’âmes damnées : un cortège bruyant, accompagné de sifflements et d’aboiements, une armée de morts errants en quête de rédemption.
Ce mythe plonge ses racines dans les traditions païennes les plus anciennes. En effet, ce cortège n’est pas sans rappeler l’armée des morts d’Odin (le roi des dieux scandinaves) qui sort du Valhalla pour la bataille finale du Ragnarök (fin des temps).
Mais signifie Hellequin ? Il existe de nombreuses variantes selon les époques et les auteurs : Hennequin, Herlequin, Herlekin ou encore Herlechini en latin. Les érudits se sont longtemps interrogés sur l’origine de ce nom mystérieux. Selon l’une des hypothèses, Hellequin serait la forme normande de « hèle chien », c’est-à-dire « le chien que l’on lance à la poursuite du gibier ». En dialecte normand, « chien » se dit « quin » : ainsi, « hèle chien » serait devenu « hèle quin », puis Hellequin.
Au fil des siècles, le mythe franchit les frontières et se transforme. Au 16e siècle, en Italie, le mot Hellequin se mue en Arlequin le fameux personnage espiègle et malfaisant de la commedia dell’arte.

La chasse sauvage, 1856/57, Johann Wilhelm Cordes, Collection: Museum Behnhaus Drägerhaus, Lübeck
Le varou 🐺
Depuis des siècles, le loup est perçu comme le principal adversaire de l’homme. La peur qu’il inspire s’est profondément ancrée dans la mémoire collective.
En 1870, le dernier loup de la forêt de Saint-Sever fut abattu, mais son ombre plane encore à travers les noms de lieux qui lui sont liés : le chemin des Loups Pendus à Saint-Vigor-des-Mézerets, la ruelle aux Loups à Vire, la Louvetière à Saint-Germain-du-Crioult ou encore le lieu-dit Canteloup à Valdallière.
Et comment parler du loup sans évoquer le mythe fascinant du loup-garou ? Mi-homme, mi-bête, le loup-garou est une créature dotée d’une force prodigieuse, dévorant les hommes lors des nuits de pleine lune. Depuis des temps immémoriaux, cette légende nourrit les peurs et les cauchemars. La lycanthropie désigne cette étrange métamorphose, partielle ou totale, d’un homme en loup, croyance ancienne qui traversa les siècles.
En Normandie, le loup-garou porte un autre nom : le Varou. Ce terme vient du vieux norrois vargulfr, la langue des anciens Scandinaves. Mais à la différence des monstres sanguinaires d’autres contrées, le Varou n’est pas un tueur d’hommes. Il s’agit d’une âme damnée, frappée d’une malédiction divine pour un crime resté impuni. Sa transformation n’est pas un choix : il en est la victime. Le Varou peut être un vivant maudit… ou un mort revenu de sa tombe. Chaque année, le plus souvent durant le temps de l’Avent, parfois entre Noël et la Chandeleur, à la tombée de la nuit, il revêt une peau de bête, la hure, et devient un être effrayant aux yeux jaunes. Il s’élance alors dans une course nocturne éperdue, battu par le Diable lui-même, avant de regagner, à l’aube, son point de départ et de retrouver forme humaine. Cette errance porte un nom : le varouage, on dit aussi courir le varou. Selon la tradition, cette malédiction durait sept longues années. Mais elle pouvait être brisée, disait-on, si un être assez brave parvenait à faire couler une goutte de sang entre les deux yeux de la bête.

Intérieur de l’église de Saint-Sever-Calvados ©L. Mach 
Sculpture de tête de loup dans l’église ©L. Mach




