Nous rendons hommage aux paysans d’autrefois, cette grande masse d’anonymes trop souvent oubliée des livres d’histoires et des programmes de télévision. La plupart de nos ancêtres travaillaient pourtant la terre. En 1789, les paysans représentaient effectivement 80% de la population.

Qui étaient les paysans ?

Ce terme est assez vague. Il désigne l’ensemble des ruraux sans distinguer de profession précise. C’est grâce aux registres paroissiaux (baptêmes, mariages et sépultures), tenus par les curés aux XVIIe et XVIIIe siècles, que le statut social des gens de la terre apparaît. Le terme paysan n’est jamais mentionné, mais on peut y voir des termes comme journalier, manouvrier, laboureur, ou d’autres métiers issus de l’artisanat tels que meunier, charpentier, sabotier, scieur de long, charbonnier, etc.

Le laboureur

Le laboureur était, en règle générale, celui qui possédait le matériel nécessaire. Le « cheptel mort » désignait les outils (charrues, charrettes) et le « cheptel vif » les animaux de traits (bœufs, rarement des chevaux) et le bétail. Le laboureur exploitait des terres, propriétaire de certaines parcelles et locataire pour l’autre partie, la métairie. Le métayage est un bail à mi-fruit signé chez le notaire, cela induit que la moitié de la récolte est redistribuée au bailleur (rentier, bourgeois, seigneur, communauté religieuse). Dans un village, le plus puissant des laboureurs était receveur, c’est lui qui récoltait les redevances seigneuriales et la dîme (impôt de l’église). Selon l’historien Pierre Goubert, le seuil de l’indépendance économique se situait entre 5 et 10 hectares. Le plus petit des laboureurs exploitait entre 2 et 10 hectares. Le moyen en exploitait jusqu’à 30, et celui qui était aisé pouvait en exploiter jusqu’à 100, voir plus, et employait une main d’œuvre importante. C’est dans celle-ci que l’on trouvait la portion la plus importante de paysans (50%) : les manouvriers et les domestiques. Les laboureurs étaient peu nombreux, les terres du bocage n’étant pas adaptée à la culture céréalière contrairement aux plaines de Caen ou Bayeux. On y cultivait néanmoins le seigle, l’avoine, l’orge, et surtout du sarrasin qui servait à faire des bouillies et des galettes (comme en Bretagne).

Le manouvrier ou journalier

Le manouvrier possédait une maison et un jardin, une petite exploitation de 1 ou 2 hectares qu’il louait. Il se voyait obligé de louer le matériel et l’attelage au laboureur. Pour compléter ses revenus il travaillait à la journée (journalier) ou à la saison chez un exploitant. Bien souvent, il faisait un peu d’artisanat comme le tissage à la maison ou le ramassage du bois. Il était bricoleur et multitâches. Concernant le tissage, les marchands fabricants des villes fournissaient la matière première (laine, lin, chanvre) aux paysans et revendait le produit fabriqué. Dans la partie la plus pauvre de la paysannerie se trouvaient les domestiques et servantes, que l’on disait « sans feux, ni lieux », qui ne possédaient rien hormis leur force de travail. Ils devaient alors travailler chez les laboureurs ou les fermiers.

Le domestique et la servante

Depuis le Moyen-Âge avait lieu, sur notre territoire, la louée des domestiques. Elles se tenaient lors des foires annuelles, dans les bourgs ou en plein champs, et permettaient aux domestiques et servantes de rencontrer les « maîtres » et de proposer leurs services pour un an. Nous pourrions comparer cet événement au Salon de l’emploi aujourd’hui.

Les louées

Rangés en file, des garçons ou des hommes de tout âge tenaient un bâton dans leurs mains ou un fouet autour du cou d’un côté. De l’autre, des filles et des femmes (de tout âge aussi) portaient un bouquet de roses ou de lavande à la main. Tous attendaient d’être choisis par les « maîtres ». Les hommes les plus costauds étaient choisis pour les tâches les plus dures. Le poste le plus important était celui de valet de ferme, celui-ci dirigeait les travaux dans l’exploitation avec le « maître ». Venaient ensuite les petits valets et les commis. Les femmes étaient employées comme vachères, employées de cuisine ou aides ménagères, sous la direction et la protection de la patronne. L’engagement était souvent verbal, une fois l’affaire conclue, le salaire et les conditions fixés, le maître leur payait à boire au cabaret sous des tentes dressées à l’occasion de la foire. Rien avoir avec le Moulin Rouge et le French Cancan ! Le cabaret de l’époque est tout simplement l’ancêtre de notre bistrot. Le contrat commençait quelques jours plus tard. Pendant une année, le domestique vivait et dormait chez son maître.

Les louées de domestiques avaient lieu à différents moment de l’année. Souvent, elle se déroulait le dimanche qui précédait la Saint Clair (18 juillet). C’était le cas à Noyers-Bocage, Banneville-sur-Ajon, Le Tourneur et Saint-Martin-des-Besaces. À Vire, c’était le dimanche des Rogations. Ailleurs, ce pouvait être le 29 septembre à la Saint-Michel.

Cette coutume s’est perpétuée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale dans notre bocage. La mécanisation, réclamant moins bras, a fait disparaitre les domestiques et les louées. Cette coutume est devenue obsolète.

Article publié le lundi 27 juin 2022