Saviez-vous que le français que nous parlons aujourd’hui est le fruit d’une longue histoire et d’influences multiples ? Pendant des siècles, chaque région avait son propre parler, façonné par la vie quotidienne et les particularités locales. Aujourd’hui, le normand est parlé par 30 000 personnes et est classé parmi les langues « sérieusement en danger » par l’UNESCO. Dans cet article, Stéphane Laîné, chargé de la sauvegarde et de la valorisation des parlers normands pour la Fabrique de Patrimoines en Normandie, nous livre les clés pour découvrir ce patrimoine linguistique.
Préambule : la Prononciation
- Une des particularités du Bocage réside dans la façon de rouler les r.
- Selon Pierre Boissel, professeur à l’Université Inter-Âges de Caen, le Bocage se trouve sur une véritable démarcation linguistique. Au nord de Vassy, certains mots se prononcent avec un [k], tandis qu’au sud, on utilise un [∫]. Par exemple, on dira plutôt « vak » pour vache, « ka » pour chat et « kien » pour chien.
- Les [g] sont prononcés [ʒ], ce qui donne « gambe » pour jambe et « gardin » pour jardin.
- Les [wa] peuvent se prononcer [é], par exemple : « mé » pour moi, « té » pour toi et « dret » pour droit.
- Avec la prononciation du [u] au lieu du [œ], on dira « Goule » plutôt que gueule et « Coue » pour queue.
- Amuïssement des consonnes finales, ce qui donne « mé » pour mer et « boeu » pour bœuf.
- Amuïssement de r devant l et n, nous dirons « mêle » pour merle et « cônêle » pour corneille.
1) Des expressions locales
Voici quelques expressions du Bocage virois selon Stéphane Laîné :
- C’est s’n’aget : C’est sa façon d’agir
- J’ahenne bé à faire celo : J’ai bien de la peine, de la difficulté, à faire cela
- Qué qu’tu bélouines don lo ? : Qu’est-ce que tu fabriques donc là ? À quoi perds-tu ton temps, là » (bélouiner « faire des bricoles »)
- I va d’bicacoin : Il avance en zig-zag
- N’y a pas mèche : Il n’y a pas moyen
En Normandie, lorsqu’on emploie du « français régional » :
- 🧹 Passer la toile : Passer la serpillière
- 👄 Avoir de la goule : Être grande « gueule »
- 📐 Carre : Coin, angle
- 🚪 Tourner la clenche : Manipuler la poignée de porte
- 👩🌾 Légumier : Jardin potager
- 😋 Goûtu : Qui a du goût
- 🦃 Rouge comme un piko : Être rouge comme un dindon
- 👶 Petiot : Petit enfant
- 👦 Le bézo : L’enfant
- 👧 La fi’ : La fille
- 🤬 Nom de Diou : Nom de dieu
2) Des verbes « de chez nous »
- 🦆 Bourot(t)er : Marcher en canard » (le nom boure désigne dialectalement la cane, les canetons étant appelés bourots)
- Drouper : Roter
- S’étraler : S’étaler de tout son long
- 🧥 Empapouiller : Emmitoufler
Plus globalement en Normandie :
- 😩 Éluger : Ennuyer, fatiguer
- 🔑 Barrer : Fermer à clé
- 🙎 Muler : Bouder
- 🥣 Super : Boire en aspirant
- 😭 Ouiner : Pleurer, gémir, se plaindre
- 🔨 Bouiner : Faire des choses, bricoler
- 🌧 Dracher : Pleuvoir
3) Des formules de politesse et expression de la vie quotidienne
- 👋 Boujou : Bonjour et au revoir
- ‼ Heulà ou heulô exprime en Normandie la surprise, c’est l’équivalent du français standard holà, holala ou bien houlala
- 😳 Heulà, qu’j’si gêné ! : Holà que je suis gêné !
- 👌 Y a d’qué / d’tché / d’tchi qu’oppose « Il y a un empêchement », « Il y a un problème ».
- 👋 À c’tantôt : À cet après-midi ou à bientôt
- Ati toi / ati té : Comment tu vas ?
L’émission « ça bacouette » vous en dit plus :
4) Des mots spécifiques pour parler de nourriture locale
- 🍎 Bér : Cidre (en référence au verbe boire)
- 🦆 Un canard : Prendre du Calvados sur un sucre
- 🚿 La rincette : « Chez les plus jeunes Normands, la rincette correspond au dernier verre que l’on prend ». En réalité, le mot tient à des pratiques traditionnelles plus complexes. Cela correspond aussi au fait de boire un petit peu de café contenu dans sa tasse puis de compléter celle-ci avec de la goutte, c’est-à-dire de l’eau-de-vie de cidre. On appelle ça un café coiffé (coeffé ou coeffi en patois), un café arrosé et dans le commerce, un café-calva. Le café bu, il en reste un peu au fond. On va rincer la tasse avec un peu d’alcool pur, c’est la rincette ou rinchette en patois dans les deux tiers nord de la Normandie. Les gourmands prendront une sur-rincette ou sur-rinchette, que l’on peut aussi nommer re-rincette. Les insatiables opteront pour une quatrième et dernière rasade : l’coup d’pi dans l’tchu, l’coup d’l’étrier, l’coup d’fouet, la partante, la soupirette ou encore la déchirante.
- 🍚 La Teurgoule : une spécialité gastronomique normande bien connue, faite de riz au lait aromatisé à la cannelle. Selon Stéphane Laîné, les gourmets et les linguistes s’interrogent encore pour savoir si on se tord la goule en la mangeant parce qu’elle est trop chaude ou bien parce qu’elle est trop compacte.
- 🍖 Le Ratelet : Un Rôti de porc dans lequel on garde les cotes premières, en référence au râteau.
- 🥣 La Mitonnette : Une délicieuse soupe à l’oignon, mijotée avec du biscuit (pain dur cuit deux fois). Le biscuit, cassé en morceaux, s’imbibe du lait chaud utilisé à la place de l’eau, offrant une texture unique et réconfortante.
- 🥞 La Bouillie de sarrasin : C’est un mélange de lait et de farine de sarrasin cuit une vingtaine de minutes. La préparation est versée dans une jatte tandis que le fond du récipient est mélangé avec du beurre puis raclé. La partie mise dans une jatte est refroidie puis coupée en tranche. On fait revenir les bouts à la poêle, ils sont dorés à l’extérieur et fondants à l’extérieur avec du sucre.
- 🍞 La Falue : C’est une brioche plate mais gonflée, avec des petites cornes sur le dessus. Typiquement normande. Le nom repose sur FAL, un mot hérité des scandinaves, qui désigne le jabot des oiseaux, par extension c’est devenu tout le tube digestif en normand.
L. Mach
5) Parler de la météo et des différents types de pluie
Dans le Bocage virois,
- 🌫 Bérouée : Brouillard humide
- 💧 I bérouasse : Il tombe une pluie fine
- 🌧 Puchie : Une pluie, une averse
- ☔ L’ondée ou la tapée : Une averse passagère
- Une achanée : Une bonne averse
- Une harée : Une averse plus dense
- ⚠ Une chilée : Une averse violente
- 🌬 Une lâchie : Une averse venteuse
Globalement en Normandie :
- 🌧 Y’r’pleut : Il repleut
- ☁ Ca s’embernaudit : Le temps se gâte, le pluie est imminente
Un grand merci à Stéphane Laîné, Chargé du projet de sauvegarde et de valorisation des parlers normands pour la Fabrique de Patrimoines en Normandie. Stéphane est docteur en Sciences du langage, spécialisé en linguistique diachronique (histoire de la langue française) et en dialectologie (étude des dialectes). Il est rattaché à la Fabrique de patrimoines en Normandie, un Établissement public de coopération culturelle (EPCC) créé en 2015 qui a deux tutelles : la Région Normandie et la DRAC Normandie (Direction régionale des affaires culturelles).
Des livres pour aller plus loin
- P’téte bin qu’oui, p’téte bin qu’non de Bernard DESGRIPPES et Emmanuel SAINT (19,90€)
- Vieux parlers, vieilles coutumes du Pays virois, Université inter-âges de Basse-Normandie, Antenne de Vire (10€)