Aux détours des routes bocagères, certaines pépites passent presque inaperçues… et pourtant, elles racontent à elles seules des siècles d’histoire. Entre le pont de Pontécoulant, qui a vu défiler marchands, pèlerins et voyageurs bien avant l’essor des routes modernes, et la lanterne des morts d’Aunay-sur-Odon, étonnante rescapée d’une tradition presque disparue, le territoire révèle un patrimoine discret mais profondément singulier. Ces deux témoins inattendus invitent à lever les yeux et à regarder autrement les villages. En suivant leur trace, on découvre un Pays de Vire insoupçonné, riche de récits et de petites merveilles qui donnent envie d’aller plus loin.

🌉 Le pont de Pontécoulant un passage qui a façonné un village

Si traverser un pont nous paraît aujourd’hui anodin, il en allait tout autrement autrefois. Franchir rivières et fleuves n’était pas chose aisée. La construction d’un pont pouvait alors donner naissance à un village ou favoriser l’essor d’une localité.

C’est exactement ce qui s’est passé à Pontécoulant.
Sur les cartes anciennes de Normandie, du 16ᵉ au 18ᵉ siècle, Pontécoulant apparaît presque systématiquement. Et pourtant, il n’était pas particulièrement peuplé : on compte seulement 40 foyers en 1709, soit environ 180 habitants (source : dénombrement du royaume de Claude Saugrain). Si Pontécoulant est mentionné sur la quasi-totalité des cartes de l’époque, c’est grâce à son pont, qui permettait de traverser la Druance, un affluent du Noireau.

Prenons par exemple l’Atlas de Mercator, publié en 1595, qui rassemble les cartes du géographe flamand Gerard Mercator. Pontécoulant y est mentionné sous le nom de « Pont Escoullat ».

Un carrefour ancien et stratégique

Bien qu’il ait été reconstruit à plusieurs reprises, ce pont existe depuis l’époque gallo-romaine. Pontécoulant se trouvait au croisement de deux voies importantes :

  • Vieux → Jublains
  • Bayeux → Jort

Même après la chute de l’Empire romain, ces axes restent utilisés et très fréquentés au Moyen Âge.

Jusqu’à la fin du 18ᵉ siècle, le pont de Pontécoulant est un passage incontournable entre Falaise et Vire. Cet itinéraire était très fréquenté par voyageurs, marchands et pèlerins vers le Mont Saint Michel. Les deux villes étaient alors particulièrement actives et accueillaient d’importantes foires. Par ailleurs, Pontécoulant comptait plusieurs auberges. Celle de Saint-Michel rappelait notamment la vocation pèlerine de cette route.

Le chemin n’était pas aussi important que le grand chemin de Bretagne qui reliait Caen à Avranches, mais il jouait un rôle précieux pour les échanges locaux et était suffisamment large pour permettre aux charrettes de circuler dans les deux sens.

Un lieu présent dans les livres et les cartes

Dès 1552, le tout premier “guide routier” français, La guide des chemins de France, cite Pontécoulant sur l’axe Falaise-Vire.

Le saviez-vous ? : À cette époque, on utilise le masculin guide pour désigner la personne qui accompagne les voyageurs, et le féminin la guide pour parler du livre décrivant routes et chemins.

Même Olivier Basselin (ou Jean Le Houx) évoquent le village, dans Vaux-de-Vire.

Le saviez-vous ? : Les chansons d’Olivier Basselin ne nous sont connues aujourd’hui que par l’intermédiaire de Jean Le Houx, un poète virois du 16e siècle qui publia un ouvrage appelé « Vaux de Vire » et reprenant les chansons de Basselin (foulon et poète du début du 15e siècle). Il est très probable qu’Olivier Basselin ait existé mais on ne peut pas affirmer qu’il est l’auteur véritable des textes.

Il existe également une belle représentation du pont datant de 1685, preuve supplémentaire de l’importance du site.

Et comme aujourd’hui, il y avait deux ponts à Pontécoulant :

  • l’un franchissait le cours principal de la Druance,
  • l’autre, le bief qui alimentait le moulin.

Quand la route change, tout change

À la fin du 18ᵉ siècle, une nouvelle route royale relie Paris à Granville. Elle contourne Pontécoulant et passe plutôt par Condé-sur-Noireau et Vassy. Une décision qui fait perdre au village son rôle stratégique de passage.

Le saviez-vous ? : Cette « nouvelle » route correspond à la route actuelle pour relier Condé-sur-Noireau à Vire.

Et aujourd’hui ? Le pont a bien changé mais il reste visible à la sortie du bourg de Pontécoulant, en direction de Saint-Germain-du-Crioult.

Après ce pont qui a façonné la vie du village pendant des siècles, direction Aunay-sur-Odon pour découvrir un autre témoin surprenant de l’histoire locale : une lanterne des morts unique en son genre.

🕯️ La lanterne des morts d’Aunay-sur-Odon, un monument unique dans le bocage

À Aunay-sur-Odon, un monument intrigue dès l’entrée du cimetière : une colonne de pierre d’environ 6 mètres de haut, surmontée d’un petit pavillon orné de colonnettes et son fût décoré d’un Christ en bronze. C’est une lanterne des morts réalisée par le sculpteur Lucien Fenaux, un artiste reconnu du 20e siècle.

Qui est Lucien Fenaux ?

Originaire d’Hazebrouck, il étudie dans les années 1930 à l’École supérieure des Beaux-Arts de Lille puis à celle de Paris, où il devient l’élève du sculpteur Paul Landowski, connu notamment pour le Christ du Corcovado au Brésil. En 1943, il remporte le premier prix de sculpture du prestigieux Grand Prix de Rome. Après la Seconde Guerre mondiale, il se consacre principalement à la création de monuments commémoratifs, parmi lesquels le Mémorial de la Déportation du camp du Struthof, en Alsace.

Grâce à ses relations parisiennes, le docteur Lacaine, maire d’Aunay-sur-Odon, réussit à faire venir Fenaux pour participer à la reconstruction de la nouvelle église, l’ancienne ayant été complètement détruite. Plusieurs réalisations lui sont confiées :

  • le baptistère,
  • les chapiteaux du choeur et du porche,
  • l’autel,
  • deux statues installées dans les transepts : la Vierge Marie à gauche et le Christ à droite.

Un monument exceptionnel en Normandie

Les lanternes des morts sont très rares au nord de la Loire. Celle d’Aunay-sur-Odon est la seule présente dans le Pays de Vire. On en trouve surtout dans le sud-ouest de la France et la plupart datent des 12e et 13e siècles. Une vraie singularité à découvrir ici. Mais à quoi servent-elles ?

Une lumière pour guider les défunts

Généralement placées au centre des cimetières, le sommet de ces tours de pierre étaient coiffées d’une lampe appelée le fanal. Celui-ci brûlait toute la nuit pour éclairer les sépultures.

La fonction des lanternes des morts reste incertaine. Certains y voient un repère lumineux pour les voyageurs, d’autres un signal indiquant la présence d’un cimetière. Les historiens retiennent aujourd’hui une interprétation symbolique : la lumière installée au sommet aurait eu pour rôle d’accompagner et de protéger les défunts.

À Aunay-sur-Odon, la lanterne a été bénie en 1955. Elle s’inspire clairement des modèles médiévaux, tout en portant la signature d’un artiste du 20ᵉ siècle. Une rencontre rare entre tradition et création contemporaine.

📍 Pour aller plus loin : découvrez Aunay-sur-Odon autrement

Envie de prolonger la visite ? Aunay-sur-Odon ne se résume pas à sa lanterne des morts : la ville offre un véritable parcours à ciel ouvert pour comprendre l’histoire de la première ville reconstruite de France.

Article publié le jeudi 11 décembre 2025