Ruine du château de Vire

I/ La fondation du Duché de Normandie


Rolf : Le premier « duc de Normandie »:

Après plusieurs décennies d’attaques violentes et de pillages au début du IXe siècle, les scandinaves appelés vikings, s’installent au nord de la Neustrie, grand territoire allant de la Loire à la Seine.
Ils colonisent le territoire en dépit des rois carolingiens qui ne parviennent pas à s’en débarrasser. Un chef, appelé Rolf le Marcheur ou Rollon, devient le principal porte-parole des vikings de la Seine auprès du roi carolingien, des grands princes francs et des dignitaires de l’Église.

Statue de Rollon à Rouen

En 911, après de longues négociations menées par l’archevêque de Rouen, il signe avec le roi Charles III, le traité de Saint-Clair-sur-Epte, considéré comme l’acte de naissance de la Normandie. Rollon avait déjà adopté le mode de vie et les coutumes des francs et s’était marié avec Poppa, la fille du comte Béranger de Bayeux.


Il reçoit de la part du roi, le territoire situé entre l’Epte et la mer, borné au sud par l’Avre et à l’ouest par la Risle. En contrepartie, Rollon et ses hommes doivent se convertir au christianisme et défendre le royaume de toutes autres attaques vikings.
Il est important de souligner que cette terre lui est attribuée ainsi qu’à ses descendants en toute indépendance.
Il devient alors Comte de Rouen. La dénomination “Duc de Normandie” apparaîtra plus tard au XIe siècle. Il est baptisé en 912 par l’archevêque de Rouen et adopte le prénom chrétien Robert.


En 924, Rollon agrandit son territoire à l’ouest et s’empare de la zone qui s’étend jusqu’à la Vire.
À sa mort, en 933, son fils Guillaume Longue-Épée devient comte et annexe l’Avranchin et le Cotentin auparavant sous domination bretonne. À cette date, les frontières de la Normandie deviennent en quelque sorte définitives. Par la suite, certains conflits feront avancer ou reculer les frontières.

Fondation et extensions du duché de Normandie

II/ La cité de Vire au XI et XIIe siècles

Au XIe siècle, Vire est un bourg doté d’un marché hebdomadaire se tenant le vendredi, d’un château en bois avec une chapelle et d’une église paroissiale.

Vire devient une ville importante sous le règne de Henri 1er, fils de Guillaume le Conquérant, du fait de sa situation géographique pour protéger le sud de la principauté de ses voisins turbulents tels que la Bretagne, l’Anjou, le Maine.

Henri Ier Beauclerc :

Il est le troisième fils de Guillaume le Conquérant. À la mort de Guillaume en 1087, c’est Robert l’ainé qui hérite de la Normandie, Guillaume le cadet obtient l’Angleterre et Henri, le benjamin reçoit une grande somme d’argent.

Robert dépense beaucoup, il a besoin d’argent pour mater la guerre civile qui ravage son duché. La mort de Guillaume Le conquérant ayant provoqué de nombreux troubles entres aristocrates. Henri en profite et propose à son frère aîné de lui donner de l’argent en échange du Cotentin, ce que Robert accepte car la guerre coûte cher.
Quelques années plus tard, Robert reprend le Cotentin par la force et assiège Henri au Mont Saint-Michel.
Henri quitte la Normandie pendant deux ans, Robert part en croisade en 1096, Guillaume obtient la garde du duché de Normandie puis redonne le Cotentin à Henri.

Guillaume meurt d’un accident de chasse en Angleterre en 1100. Henri, qui est sur l’île se fait couronner roi d’Angleterre trois jours plus tard dans la Cathédrale de Winchester. 

Portrait d’Henri Ier datant du XVIe siècle

Robert reprend le duché à son retour de croisade. Certains barons normands font appel au roi Henri, pour virer Robert du duché de Normandie. Henri débarque alors en Normandie en 1105 en attaquant Bayeux. La cathédrale est incendiée par des flèches enflammées lancées par ses hommes et obtient la réédition de Caen et Falaise. Il bat l’armée de son frère à Tinchebray en 1106 et rétablit l’ordre. Vingt ans après la mort de Guillaume le Conquérant, la Normandie et l’Angleterre sont de nouveau sous la même domination.
Il mène une grande campagne de fortification pour protéger les frontières du duché face aux bretons et angevins. Il installe des donjons carrés massifs à Falaise, Domfront, Mortain et  Vire.


Le château de Vire :

Vers 1120, Henri fait bâtir le donjon et une double enceinte correspondant aujourd’hui au parking, place du château.  La première enceinte s’appelait « petit château » et la Tour de Coulonces est un des seuls éléments avec le Donjon encore visibles, datant du XIIe siècle. À l’intérieur se trouvait une chapelle dédiée à Saint-Blaise (aujourd’hui près du kiosque). La deuxième muraille allait jusqu’au bout du parking, un fossé profond, le longeait et une porte avec un pont levis venait compléter cet important dispositif militaire.

Donjon de Vire

Le rez-de-chaussée sans ouvertures servait de cellier (1). 

Le premier étage servait de salle de réception avec la grande cheminée et les latrines (2). 

Au deuxième étage se trouvait le logement du capitaine du château avec latrines également (3).

Au troisième niveau, la salle des gardes était le logement des  soldats de service (4). On peut encore voir les mâchicoulis à l’extérieur.

Vocabulaire d’architecture militaire

Les étages étaient séparés par des planchers. Les trous aménagés pour recevoir les poutres sont encore visibles entre le premier et le deuxième étage. Les poutres du troisième étage reposaient sur des ressauts (petite avancée de pierre sortant d’un mur). Chaque étage était divisé en trois salles, une grande et deux petites pour les services. Il y avait probablement un escalier en bois pour passer d’un étage à l’autre.


III/ La Normandie est rattachée au domaine royal

Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut bien distinguer royaume de France et domaine royal qui sont deux notions différentes. Depuis Hugues Capet, à l’origine de la dynastie des capétiens, le royaume de France est constitué de fiefs, confiés à des seigneurs qui prêtent hommage au roi de France, leur suzerain. Le roi n’a pas le contrôle sur ces fiefs, devenu avec le temps la pleine propriété des seigneurs. Le roi est cependant propriétaire d’un domaine autrement appelé domaine royal, qui jusqu’à l’avènement de Philippe Auguste à la fin du XIIe siècle, est très restreint, il se compose de Paris et ses alentours ainsi que de la région d’Orléans.

Durant son règne, Philippe Auguste entreprend la reconquête de nombreuses principautés normalement vassales mais en réalité indépendantes et insolentes vis-à-vis du pouvoir royal. Sa cible principale est la Normandie appartenant à la famille des Plantagenêts, descendants de Guillaume le Conquérant, et détentrice d’un empire allant de l’Ecosse aux Pyrénées.

La Normandie est le cœur de cet empire et également la province la plus riche du royaume de France. Il faut deux ans à Philippe Auguste pour récupérer la Normandie alors aux mains de Jean sans Terre.

Le 6 mars 1204, le château Gaillard, immense forteresse bâtie par Richard Coeur de Lion, proche de Rouen, tombe. La capitale Rouen, tombe le 21 juin 1204. La Normandie intègre définitivement le domaine royal.

IV/ Vire au XIIIe siècle : la métamorphose

Au XIIIe siècle, la cité de Vire connaît de nombreux changements. L’église Notre-Dame de Vire, construite le siècle précédent, dans le style roman, se mue en un édifice gothique. Auparavant désigné par le duc de Normandie, le capitaine du château, est à partir de 1204, désigné par l’autorité royale.


Passage du roi Louis IX  à Vire en 1256:

En 1226, le fils de Philippe Auguste, Louis VIII décède après seulement trois années de règne. Son fils, Louis IX accède au trône, il n’a que 14 ans. Dans la continuité de son grand-père, il va travailler à l’intégration de la Normandie dans le royaume de France.  En mars et avril 1256, il parcourt la Normandie en compagnie de l’archevêque de Rouen, Eudes Rigaud. Après avoir visité Rouen, Caen, Coutances, Avranches, le Mont Saint-Michel, il s’arrête à Vire.

C’est certainement lors de sa visite qu’il ordonne la construction de remparts pour protéger  la cité. En face, il y a le puissant duché de Bretagne, indépendant, avec qui St-Louis est en conflit.

Statue de St-Louis dans l’église de Mainneville (Eure) datant du XIVe siècle. Considérée comme étant l’une des représentations les plus plausibles du roi.

Il faut plus d’un demi-siècle pour ériger les 700 mètres de remparts en moellon de granit et de schiste, extraits dans les environs. Cet immense ouvrage défensif d’environ deux mètres d’épaisseur, est complété d’environ 5 mètres de profondeur et de 7 mètres de largeur. Le chantier se termine au début du règne de Philippe Le Bel.

Trois portes permettent l’accès à la cité. Chaque porte est alors protégée par une double tour, une herse et un pont-levis.



La porte de Martilly au nord ouvrait sur la route d’Avranches, Coutances et Saint-Lô. Les portes Gastinel et St-Sauveur ouvraient sur la route de Caen et Domfront.

Les trois portes d’entrées dans la ville étaient conçues quasiment à l’identique.

La seule porte d’entrée encore visible entièrement aujourd’hui est la Porte Horloge, autrefois appelée Porte Gastinel, du nom du propriétaire de la parcelle sur laquelle elle a été bâtie. Il n’y avait à l’origine que les deux tours circulaires. Le beffroi central et l’horloge furent ajoutés à la fin du XVe siècle.

Porte-Horloge de Vire



Les autres tours encore existantes:


La Tour St-Sauveur, est située au sud de la Porte Horloge, rue des Remparts !! Elle avait une sœur jumelle puisqu’elle faisait office de porte d’entrée dans la cité.

La Tour aux Raines, est située au sud de la Porte St-Sauveur, au pied de la Vire. On y entendait les grenouilles au bord de la rivière.

Google Maps

La Tour de la Douves, est située rue Chênedollé. Il manque les mâchicoulis, contrairement aux autres tours encore visibles.

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V/ La Guerre de Cent Ans

Vire est une place forte très convoitée par les français et les anglais. La ville est envahie à deux reprises.

Les grandes compagnies :  
Ce sont des troupes de mercenaires rémunérées par des rois ou des princes pour faire la guerre. En temps de paix, souvent sans ressources, elles vivent du pillage et des rançons. 

Pour les passionnés de lecture, ce roman raconte l’histoire de ces mercenaires au XIVe siècle, il s’agit d’une fiction faisant intervenir des personnages historiques réels

Lors de la bataille de Poitiers en 1356, le roi Jean II est capturé et emprisonné en Angleterre. C’est son fils, le dauphin Charles, qui prend en main le royaume. En 1360, il signe avec le roi d’Angleterre Édouard III le traité de Bretigny. Le roi d’Angleterre renonce au titre de roi de France mais, il impose une rançon de 3 millions d’écus pour libérer le roi, et obtient, en toute souveraineté, les territoires suivants : Calais et le Ponthieu, la Guyenne, la Saintonge, l’Agenais, le Limousin, le Périgord, le Quercy et l’Angoumois. Ce traité de paix, laisse de nombreux mercenaires sans soldes. Ils vont se livrer aux pillages et aux pires exactions en Normandie.


Le 2 août 1368:

Une troupe de soudards sous les ordres d’un certain Jean Cercle arrivent à l’entrée de Vire. Une avant garde de quelques soldats est envoyée à la porte principale (Actuelle porte Horloge), tous vêtus d’habits de ville pour être discrets. Une fois entrés, ils tuent les portiers, les soldats postés en arrière et se précipitent dans la ville. Ils tentent de prendre le château en vain. Il est fortement défendu par les gardes du château.

C’est le roi Charles V, prévenu, envoi un de ses proches conseillers pour négocier le rachat de la ville. Une rançon est versée aux mercenaires, le 12 septembre de la même  année. Le jour même, ils relâchent les prisonniers et quittent la ville.  C’est Bertrand Du Guesclin, connétable de France qui parvient à repousser les anglais. À sa mort en 1380, la Normandie est presque entièrement sous contrôle royal sauf Cherbourg et le Cotentin. Après une longue trêve, la guerre reprend au XVe siècle. Henri V entame la reconquête de la Normandie. Le 1er août 1415, l’armée anglaise composée de 10 000 hommes débarque à Touques, les villes tombent les unes après les autres. La Normandie est occupée jusqu’à l’été 1450.


Que se passe t-il à Vire pendant l’occupation anglaise (1418-1450) ?

La vie continue mais la résistance face à l’occupant ne se fait pas attendre.

La résistance à l’occupant anglais arrive tôt dans la région de Vire, du fait de la proximité avec le Mont Saint Michel (qui résiste face aux nombreuses attaques) et à la présence de nombreuses forêts aux alentours (St-Sever, Montchauvet, L’Évêque) qui permettent de se cacher.   La répression à Vire est immédiate. Les exécutions sont nombreuses, soit par décapitation soit par pendaison. Un billot, placé en centre-ville servait pour couper les têtes et la pendaison quant à elle, était réservée aux criminels de droit commun.


1436 : La grande insurrection menée par Jean Boschier

Durant l’année 1435, la rumeur circule que les troupes françaises vont tenter de reconquérir le Cotentin et notamment encercler les anglais qui assiègent le Mont-Saint-Michel.L’occupant se met en état d’alerte. Hue Spencer, le bailli du Cotentin s’installe au château de Gavray.

L’espoir gagne les populations, des paysans originaires des régions de Vire et Mortain, fédérés par Jean Boschier, un laboureur,  se soulèvent au début de l’année 1436 et mènent des attaques contre des convois anglais. Le capitaine anglais Thomas de Scales et ses hommes sont envoyés à Vire pour tenir la ville car la région est très menacée. En mars 1436, Jean Boschier et ses hommes tentent de rejoindre les troupes françaises de Charles VII, à Villedieu-les-Poêles. Scales écrase la rébellion dans la forêt de St-Sever. Les textes de l’époque évoquent environ 1000 morts, prouvant que la rébellion était importante. Les troupes françaises pendant ce temps parviennent à prendre Granville. Mais l’insurrection ayant échouée, l’armée française doit abandonner Granville.


Zoom sur La Tour de geôle

La tour de geôle fait parti des remparts de Vire construit sous Saint-Louis. Elle a servi de prison mais sa fonction d’origine était une tour défensive. Les prisons étaient alors à l’intérieur du château et dans la tour de Coulonces.  Ce n’est qu’au début du XVe siècle, sous administration anglaise que cette tour devient une prison. Dans la partie supérieure se trouvait une chambre pour le geôlier, avec une cheminée et en dessous les cellules. Beaucoup de prisonniers sont parvenus à s’échapper. On fit souvent appel à des menuisiers, maçons ou serruriers pour réparer, murs, portes et gonds.

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Printemps 1450 : la fin de l’occupation

L’armée de Charles VII commence la reconquête de la Normandie à partir de l’été 1449. En quelques mois, elle parvient à reprendre les châteaux un à un et les villes tenues par les garnisons anglaises.  En mars 1450, une petite armée de 3000 soldats anglais débarque à Cherbourg.  Le 15 Avril 1450, l’armée anglaise rencontre les troupes anglaises près de Bayeux, à Formigny. L’armée anglaise est décimée. Il ne reste que quelques poches de résistances qui vont bientôt tomber.

La bataille de Formigny, par Jean Chartier, enluminure attribuée à Jean Mazerolles, issue des Chroniques de Charles VII de Jean Chartier, XV°siècle

Arthur de Richemont, connétable de France (chef des armées), vient ensuite mettre le siège devant Vire. La cité est défendue par une garnison d’environ 300 ou 400 hommes sans capitaine. Henry de Norbery, avait été fait prisonnier au cours de la bataille. Il n’y eu pas d’affrontements. Le capitaine de Norbery avait peut-être ordonné à ses hommes de se rendre. Le roi de France Charles VII devient maître de la Normandie et publie pour les habitants de Vire des lettres d’abolitions, ne poursuivant quiconque en justice pour ce qu’il aurait fait pendant la guerre.


VI/ La disparition du château et des remparts

Bien que la cité soit dotée de puissants remparts, ils perdent considérablement de leur efficacité avec l’avènement de l’artillerie. Les remparts seront tout de même utilisés lors des Guerres de Religion, les armées catholiques et protestantes combattant pour la possession de la ville.

Au début du XVIIe siècle, le château est certainement en très mauvais état,  
quelques réparations sont exécutées . Effectuées dans le cadre des corvées royales, elles sont confiées à des hommes des paroisses voisines et étaient détestée des braves paysans puisque non rémunérée.

À cette même période, un certain Martial de Sommermont, fermier des Aides de Vire*, entre en conflit avec le gouverneur de la ville. Il reproche à ce dernier de bloquer la levée des impôts. Il fait une requête auprès du roi en demandant la suppression du poste de gouverneur de Vire, puis sollicite l’autorisation de détruire le château à ses frais à condition de pouvoir utiliser l’emplacement et les matériaux. Le roi accepte sa demande mais le gouverneur réussit à faire annuler cette demande dans un premier un temps grâce à certains appuis mais le financier obtient gain de cause grâce à la politique royale de cette époque qui exigeait la destruction de nombreuses forteresses qualifiées d’inutiles et coûteuses. 

*Fermier des Aides : fermiers généraux étaient des financiers qui prenaient «à ferme» (c’est-à-dire qu’ils en assuraient le recouvrement) la perception des impôts indirects. Les aides sont des impôts permanents et indirects perçus par le roi sur les biens de consommation et les marchandises



En 1626, le roi Louis XIII ordonna que les forteresses non placées sur les frontières soient détruites. Le Cardinal de Richelieu tentait de réduire l’influence des grands seigneurs et des protestants. Le château de Vire est démoli entre 1630 et 1633. Nous ne savons pas à quoi servirent les pierres. Par chance, il reste aujourd’hui de très belles ruines qui permettent d’apprécier le riche passé de la ville.

Depuis le XIIIe siècle, la ville s’est considérablement agrandie, les habitations ont largement dépassé le cadre des remparts qui limitent l’extension de la ville. Le pont-levis de la Porte Horloge est enlevé en 1712. Les fossés sont comblés en partie avec des pierres des murailles. En 1779, sur ordre du roi, la Porte de Martilly est rasée ainsi qu’une des deux tours de la Porte Saint-Sauveur.

Une partie des vestiges disparaît sous les bombardements comme par exemple la Tour Chatimoine, qui était située près de l’actuelle sous préfecture.



Article publié le mercredi 25 novembre 2020